dimanche 9 décembre 2007

Un long dimanche de solitude

Je crois savoir maintenant pourquoi j'aime si peu sortir. Il me semble que plus je croise de monde, plus ce monde me renvoie l'image de mon état de solitude.
Je ne sais pas comment j'ai organisé ma vie sentimentale et ma vie sociale pour en arriver là, mais il y a beaucoup de vide autour de moi, et j'ai parfois l'impression étrange que ce vide m'aspire, m'attire à lui, cherche à me tirer vers le bas, toujours plus bas...
Depuis plus de deux ans que mes filles quittent mon navire un week-end sur deux pour amarrer chez leur père, je souffre de ce même mal qui me ronge quand leur absence me pèse. Cela n'a pourtant plus rien à voir avec l'époque où j'errais, hagarde, de leur départ à leur retour, comme si le temps suspendait son vol, juste là, au-dessus de moi, et que tout restait en suspens pendant les 32 heures où on les éloignait de moi. J'en retenais mon souffle et mes pas, j'étais comme paralysée par l'absence, comme si une mort temporaire me figeait le corps et l'esprit. Et quand l'heure de leur retour approchait, la vie revenait peu à peu dans mes yeux, je sentais mon coeur rebattre, mes joues se réchauffer et, en ébullition quelques minutes, je remettais tout en place, m'activais au ménage, repassage, rangement... pour revenir sur pause la dernière demi-heure, la plus longue, celle où, le front collé au carreau de la cuisine, mon regard se perdait dans leur absence et l'attente de leur retour. Agonisante. Jusqu'à ce qu'elles arrivent et que ma Terre se remette à tourner.
En deux ans, j'ai appris peu à peu à respirer doucement, à faire de ces week-ends des moments de repos et non plus de mort éphémère, à mettre un pied dehors, puis les deux, à me promener la tête haute dans les rues de cette ville, cachée dans une armure qui entaille ma chair sans que quiconque s'en aperçoive. Mais de retour chez moi, je pose mes bottes et mon armure, et toute cette solitude pénètre dans mes plaies ouvertes.
Ma solitude et moi, nous sommes comme deux soeurs, parfois amies parfois rivales. Il y a les jours où je l'invite joyeusement à se joindre à moi, et il y a les jours où je préfèrerais la savoir loin d'ici. Lorsqu'elle s'installe sans y être invitée, elle égrenne les secondes d'une lenteur maladive... et je la déteste.

6 commentaires:

Anouschka a dit…

C'est peut-être l'armure qui retient cette solitude...
Amicalement :)

DdM a dit…

Anouschka > Je ne l'avais pas vue sous cet angle... mais maintenant que tu le dis...

Anonyme a dit…

Beau récit. Tranche de vie.

Pourquoi ne pas profiter de rendre visite à des amis, quelque peu éloignés alors. Nul besoin d'attendre les week-ends prolongés (comme le 15 août) si la solitude est trop dure à supporter

Michel P a dit…

Oui...

DdM a dit…

Sieur Japrisot démasqué > Certes ! Encore faudrait-il avoir des amis en stock quelque part :-)

Le Capitaine > Je n'ai rien à ajouter...

Michel P a dit…

J'ai tardé à vraiment commenter ce billet. J'aime relire, lorsque j'aime. Je ne suis pas sûr que les lecteurs, qui ont certainement apprécié ta franchise sur ton propre compte, quoique peut-être un peu génés, ont pu mesurer qu'il s'agissait d'un texte profondément littéraire.
Il l'est parce que sa portée est universelle. Tu ne parles pas de toi, mais de sentiments humains, d'une détresse humaine, de la stratégie pour la combattre.
Pour un titre qui ressemble à celui d'un film de Jeunet, il m'en rappelle un autre, "the piano" de Jane Campion. Surtout la dernière phrase.
Sinon, "que ma Terre se remette à tourner", oui ! Dans un très vieux texte, je causais des "planètes je m'aime". Je pense que tu n'es pas de leurs galaxies. Et sous l'armure que tu décris, sous cette écorce terrestre, il y a le fameux noyau dur que tu retrouveras.
Extrait :
"L'Oural est loin, la Cybérie, béri-béri, s'enclave dans les estomacs vides, et tant d'autres écrivent leurs petits chagrins, leurs folles envies, quatre heures et demi de route, et des nuits blanches des neiges d'ici, et des mégatonnes de déroutes, indigestes, que l'on vomit. A flirter si longuement avec les trois frontières, j'ai fini par en concevoir le syndrome chinois :
Qui n'a vécu pour les autres en s'oubliant soi-même ? Les plus longs voyages sont souvent ceux qui nous mènent à nos terres creuses et nos cités obscures, loin des astres gravitant autour de nous qui, désastre, à défaut de nous aveugler perpétuellement, s'échappent parfois de notre gravité. Notre gravité... Notre gravité capable de nous effondrer en pleurs, de nous changer en planètes stériles, en cailloux lancés dans le vide. Pourtant, dans toute entité céleste, au coeur même des écorces les plus rugueuses, il existe des noyaux brûlants qu'un simple souffle attise.
J'aimerais revisiter le centre de ma Terre en un long voyage intérieur, me souvenir quels métaux rares s'y dissimulent, quelles réactions fondamentales s'y produisent et quels atomes s'y confondent, crochus, afin de mieux savoir qui s'y accrocherait.
L'univers souffre des corps qui ne montrent ou ne cachent que leur faces, laissant leurs piles atomiques dans des sarcophages tchernobylesques, mesquins et burlesques. Je voudrais éclore comme un fruit trop mûr dont le noyau ne demande qu'à germer."
Mon "oui", évidemment, s'adressait à ta dernière phrase et non au commentaire qui le précédait. Il y a un ailleurs, je ne sais ni où, ni pour quand, pourtant, j'en suis convaincu.